Chasser : quand la passion devient corvée

Chasse Actu
date 22 avril 2025
author Léa Massey

À Wissembourg, ne pas chasser assez peut coûter cher. Entre quotas obligatoires, sanctions financières et pression croissante des autorités, la régulation du gibier vire à l’injonction. 

« On chasse par passion, pas par obligation. » Cette confidence d’un chasseur de Wissembourg, publiée dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, aurait pu rester une simple plainte anonyme, une bouffée d’agacement passagère. Mais elle dit plus que cela. Elle dit le malaise d’un monde rural à qui l’on impose des objectifs sans lui laisser la liberté de les atteindre à sa mesure. Elle dit aussi l’absurdité croissante d’un système où le chasseur devient agent d’exécution d’une politique de régulation, sous peine d’amende. À Wissembourg, chasser est encore permis — mais mal chasser est désormais sanctionné.

L’article, signé Louis Roche (« Quotas et sanctions, la chasse est-elle devenue une obligation plus qu’une passion ? », 11 avril 2025), dresse le portrait d’un territoire forestier compartimenté, contrôlé, chiffré. La ville dispose de 4893 hectares divisés en 11 lots. Chaque lot est doté d’un plan de chasse avec des quotas d’animaux à abattre. Objectif : préserver la régénération des forêts, lutter contre la prolifération du gibier liée aux hivers doux, limiter les pertes économiques liées aux dégâts forestiers. Jusque-là, soit. Ce n’est ni nouveau, ni absurde. Mais ce qui l’est, c’est la transformation progressive du chasseur en maillon contraint d’une mécanique technocratique.

Ne pas atteindre 50 % des objectifs de prélèvement, c’est écoper d’une amende de 3000 euros. De 51 à 99 %, l’amende est dégressive. Des chasseurs sont exclus après trois avertissements. Une battue est imposée à ceux qui « ne tirent pas assez ». Le vocabulaire employé dans l’article est limpide : sanctions, objectifs, compensation financière, non-respect, données à transmettre. On se croirait dans un service de recouvrement. Où est passée la liberté, élément fondateur du lien entre l’homme et la nature ? Où est passé le bon sens, celui qui permet de dire : « Cette année, je n’ai pas vu tant de chevreuils que ça, je ne vais pas tirer dans le tas pour atteindre une statistique. »

Car le problème est aussi là : ces quotas sont, selon plusieurs témoignages, déconnectés du terrain. Ils sont établis en fonction des dégâts constatés, non des animaux observés. Un chasseur s’étonne de devoir tirer autant de gibier alors qu’il n’en voit pas la moitié. Mais l’ONF, de son côté, explique qu’il est impossible de compter les animaux « bête par bête ». Ce qui est vrai. Mais alors pourquoi sanctionner sur la base d’un chiffre que tout le monde sait incertain ? Pourquoi transformer une estimation en exigence ?

Le résultat est paradoxal : on assiste à une régulation de la chasse elle-même. Ce qui, au départ, devait encadrer une pratique librement consentie devient un système de contraintes qui vide peu à peu cette pratique de son sens. Le chasseur n’est plus ce passionné qui choisit ses jours, ses postes, ses actions ; il devient un exécutant à qui l’on demande de « faire ses 36 bêtes » avant la fin de la saison, comme d’autres remplissent des objectifs trimestriels.

À cela s’ajoute le poids financier : un lot de chasse à Wissembourg peut coûter jusqu’à 10 000 euros par an, hors frais annexes (bracelets, miradors, agrainage, etc.). Ajoutez à cela une amende, et vous obtenez une chasse réservée à ceux qui peuvent payer — ou qui peuvent prouver qu’ils ont bien rempli leur quota. Une sélection par le portefeuille, loin de la tradition populaire et rurale que la chasse a longtemps incarnée.

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L’ONF et les collectivités ne sont pas en faute dans l’absolu. Leurs objectifs sont légitimes : protéger les forêts, garantir la sécurité, répondre à des attentes économiques. Et nombre de chasseurs sont les premiers à vouloir maintenir l’équilibre des milieux. Mais il y a un pas entre fixer un cap et imposer un calendrier. Entre accompagner et punir. Ce pas, à Wissembourg, semble franchi.

Et il n’est pas le seul territoire dans ce cas. À Erckartswiller, dans le même département, une battue a été organisée par l’ONF parce qu’un locataire de chasse n’avait pas prélevé assez. Les dégâts forestiers, eux, ne sont pas indemnisés. Et les randonneurs, de plus en plus nombreux, stressent la faune sans toujours comprendre qu’une battue signalée n’est pas un caprice, mais une nécessité. Comme le dit un élu local : « Certains ne savent même pas ce que signifie un panneau de chasse en cours. »

Là encore, le déséquilibre saute aux yeux. Le chasseur est mis sous pression. Le promeneur, lui, reste roi, même lorsqu’il contrevient aux règles de sécurité. On pousse les uns à faire plus, et on demande aux autres… de faire attention, si possible.

Cette évolution n’est pas sans conséquences. Elle décourage, elle éloigne les jeunes, elle transforme la chasse en corvée. Et surtout, elle altère un rapport au vivant fondé sur l’observation, le respect des cycles, l’adaptation aux conditions naturelles. On croyait que la chasse devait s’adapter au monde moderne ; on découvre que le monde moderne tente de formater la chasse à son image.

Et cela ne fonctionne pas. Car on ne gère pas des chevreuils comme on gère un stock. On ne convoque pas un sanglier par tableau Excel. La nature résiste aux cadres rigides, comme le chasseur authentique résiste aux injonctions absurdes.

Il est temps de le rappeler : la chasse n’est pas une délégation de service public. Elle n’est pas un rouage administratif. Elle est un engagement libre, enraciné, exigeant. Et si l’on veut qu’elle continue à jouer son rôle dans la régulation des populations animales, il faut aussi lui redonner un peu de souffle. Et un peu de confiance.

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11 Commentaires :
  1. Pat22
    22/04/25

    Le jour où les chasseurs décideront d’arrêter de chasser sur ces lots , certains seront certainement ravis !
    Mais d’autres devront mettre la main au portefeuille .
    Ce jour là , peut être que certains comprendront que la faune ne se gère pas depuis un bureau

  2. Marc
    22/04/25

    Pousser les chasseurs à tirer plus , une aberration , il ne faudra pas s’étonner si le nombre d’accidents augmentes , je me met à la place de ces chasseurs , la pression doit être pénible et le plaisir de chasser doit se changer en corvée .

  3. Beinat Eric
    22/04/25

    Si l’on nous impose des quotas,la chasse n’est plus une passion mais un métier à part entière.
    Dans ce cas pas de problème mais rédiger nous un bulletin de salaire !

  4. Thierry
    23/04/25

    Cette situation n’existe que parce qu’elle est acceptée par les chasseurs concernés. Ils ne sont pas réquisitionnés.
    Vous laissez les territoires, tout ça s’arrête tout bêtement ou alors c’est vraiment que les gens se battent pour payer leur soumission.

    1. Guillaume
      23/04/25

      M.Thierry, si vous « laissez » le droit de chasse de votre territoire, la commune cédera le bail de chasse à des chasseurs étrangers qui eux ont de l’argent, non pas forcément parce qu’ils sont riches, mais parce que leur pays fonctionne normalement et que ça leur met du cash dans le portefeuille.
      C’est ce qui se passe chez moi, dans le haut rhin, la quasi totalité des baux de chasse du département appartiennent à des suisses, et nous français, nous perdons notre droit de chasse sur notre propre sol.

    2. Garcia
      23/04/25

      Je suis d accord avec toi , c est du grand N importe quoi.

  5. Kerbrat
    23/04/25

    Si c’est tant que ça la galère et bien posez vos fusils.
    La faune vous remerciera.
    Et ce sera l’occasion de tout remettre à plat.

    1. Franck Rufenacht
      23/04/25

      Hors sujet

  6. Guillaume
    23/04/25

    Les indemnisations de dégâts du gibier, on pourrait en faire un article aussi…. même si vous faites correctement le « travail » de régulation, certains agriculteurs ne jouent pas le jeu, semant un carré de maïs au milieu d’une forêt, ou tout est marécageux et à l’ombre, rien ne pousse, et au premier pas de sanglier appellent un « estimateur » complaisant qui s’empresse de lui accorder le champs entier en dégât sanglier alors qu’il n’y a même pas un coup de groin dans les sillons de ses semis. Oui oui du vécu.
    Des augmentations de la cotisation d’indemnisation parce que vos voisins n’ont pas asser « regulé »…
    A tout ce petit monde qui gère les caisses d’indemnisation, à quand un contrôle des comptes ? Qui décide ou va l’argent ? Ou sont les conflits d’intérêts ? Et où finit le pognon surtout… Parce que votre mode de fonctionnement est quand même très opaque…

  7. Guillaume
    23/04/25

    Monsieur, les seuls qui vont nous remercier de poser le fusil ce sont les grands groupes agro-alimentaire.
    Un kilo de viande issu de la chasse locale est un kilo de moins dans leur poche.
    Et croyez bien que lorsqu’il n’y aura plus de chasseurs, le prix de ce fameux kilo de viande va monter en flèche, hé oui il faudra bien indemniser l’agriculteur pour les dégâts de gibier, et c’est bien sur les consommateurs que nous seront tous devenus qui paieront la note.
    Et vu que « régulation » il n’y aura plus, la facture ne cessera de monter…

  8. J m f
    23/04/25

    L’Assemblée générale des chasseurs vient de se dérouler, avec critiques sur le nombre de sangliers et les dégâts. Ce qui est regrettable c’est qu’il est question des résultats de 2023-24, alors que 2024-25 vient de se terminer. Les efforts de cette saison ne sont pas pris en compte. Sur notre lot nous prenons en note tous les animaux qui sortent ce qui nous donne une image plus réelle de la population en place et des efforts que nous réalisons. Il faudrait tenir compte de ces données qui sont les plus proches de la réalité.

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