Plomb dans les gésiers, douilles dans les marais : une étude alerte, mais les conclusions auraient mérité plus de sérieux.
Le 31 janvier 2024, une étude scientifique de la Tour du Valat publiée sur bioRxiv tirait une nouvelle fois la sonnette d’alarme : les canards de Camargue, quinze ans après l’interdiction des munitions au plomb dans les zones humides françaises, continueraient d’en mourir. Relayée dans un communiqué titré « Le plomb à la vie dure », l’étude a connu un large écho médiatique bien peu regardant quant au fond (quelle surprise…). Mais derrière l’apparente évidence, l’affaire mérite un examen plus nuancé.
📊 Une étude sérieuse… mais à ne pas surinterpréter
L’étude s’appuie sur un travail de terrain conséquent : plus de 2 000 gésiers d’oiseaux analysés entre 1998 et 2017, et près de 4 000 douilles collectées entre 2008 et 2019 dans trois sites de chasse camarguais. Objectif : évaluer si l’interdiction du plomb en zone humide (entrée en vigueur en 2006) a réduit la contamination des oiseaux d’eau.
La réponse, sans détour, est non. Le taux moyen de contamination reste stable autour de 12 %, avec des pointes à 30 % pour le colvert ou le canard pilet. Et sur les 4 000 cartouches retrouvées, la moitié contenait encore du plomb en 2019. De là, les auteurs concluent à l’inefficacité de la loi et à un manque de respect persistant de la réglementation.
Mais ce lien de causalité direct — contamination = infraction — ne va pas de soi. Deux facteurs atténuants ou confondants viennent brouiller les pistes.
🧪 Des biais scientifiques à prendre en compte
1 La Camargue a été le théâtre d’une utilisation intensive de munitions au plomb pendant des décennies, bien avant l’interdiction de 2006. Des études antérieures ont révélé des densités alarmantes de billes de plomb dans les sédiments, atteignant jusqu’à 1 à 2 millions de billes par hectare dans certaines zones humides. Ces grenailles, en raison de leur faible réactivité chimique, persistent dans l’environnement et restent accessibles à la faune aviaire.
Les canards, en particulier les espèces plongeuses qui se nourrissent en fouillant les sédiments, sont susceptibles d’ingérer ces billes résiduelles. Même en l’absence de tirs récents, la présence de plomb dans les gésiers peut donc résulter de cette pollution historique. Ce phénomène complique l’évaluation de l’efficacité des réglementations actuelles, car une partie de la contamination observée pourrait être attribuée à des sources anciennes plutôt qu’à des infractions récentes.
2 De nombreuses espèces d’oiseaux d’eau présentes en Camargue sont migratrices, parcourant de vastes distances et traversant des régions où la réglementation sur l’utilisation du plomb varie considérablement. Dans certains pays, l’utilisation de munitions au plomb est encore autorisée ou les contrôles sont insuffisants, exposant ainsi les oiseaux à une contamination potentielle avant leur arrivée en France.
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Cette exposition préalable complique l’attribution de la contamination observée aux seules pratiques locales. Il est donc essentiel de considérer le parcours migratoire complet des espèces étudiées pour évaluer correctement les sources de contamination et l’efficacité des mesures de régulation locales.
📢 Un communiqué qui travestit la complexité
Le communiqué de presse diffusé par la Tour du Valat et relayé par Birdlife et la LPO, s’appuie sur ces données pour relancer un plaidoyer en faveur d’une interdiction totale du plomb. Mais sa forme rhétorique trahit l’intention militante :
- Un vocabulaire dramatique : « menace persistante », « continuer de mourir du saturnisme », « 44 000 tonnes déversées » …
- Une présentation univoque et culpabilisante des chasseurs, sans jamais saluer les efforts déjà réalisés depuis 2006 (sensibilisation, bascule partielle vers l’acier, expérimentations de terrain).
- Une instrumentalisation politique : l’étude est utilisée pour appuyer une pétition européenne, sans prendre en compte les nuances scientifiques exposées dans la discussion de l’article.
🎯 Une stigmatisation des chasseurs… qui manque sa cible
Le texte dénonce « nombre de chasseurs » qui continueraient d’utiliser le plomb, mais admet en même temps que « de nombreux chasseurs utilisent désormais des munitions non toxiques ». Ce double discours entretient une confusion sur l’ampleur réelle des infractions.
Il oublie aussi de mentionner un fait important : 38 chasseurs ont collaboré activement à l’étude. Sans eux, pas de gésiers, pas de données. Cette coopération, rare dans un contexte souvent conflictuel, aurait mérité d’être soulignée.
En creux, l’argumentaire semble prêt à sacrifier la nuance pour mieux faire passer une réforme radicale. On peut défendre l’objectif — réduire l’impact du plomb — sans adopter un discours de suspicion systématique vis-à-vis de toute une communauté cynégétique.
🏁 Un débat légitime… qui mérite mieux
Le message central de l’étude mérite d’être entendu : le saturnisme aviaire reste un problème écologique et sanitaire majeur. Le plomb est un poison lent, persistant, et largement évitable. Des solutions existent (acier, bismuth, tungstène), et les performances de ces alternatives sont désormais comparables au plomb pour la majorité des usages.
Mais pour que ce débat aboutisse à des solutions durables, il faut sortir du simplisme militant, ne pas confondre indice et preuve, ni mobilisation et stigmatisation.
Si l’on veut réconcilier science, politique et terrain, il faudra plus de rigueur du côté des études, plus d’honnêteté dans la communication, et plus de confiance dans les acteurs de terrain – y compris les chasseurs qui, bien souvent, sont aussi les premiers protecteurs de ces milieux humides que tous disent vouloir sauver.
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C’est un article magnifiquement rédigé, qui en dit long et nous éclaire.
Merci
Les études sont comme les sondages , on leur fait dire ce que l’on veux .
Pour ce qui est des substitut au plomb , j’ai un jour doublé un faisan par erreur avec de l’acier n°4 à 20m , l’oiseau a été couché par la décharge , mais les billes d’acier sont restées sous la peau , quant au tungstène à 4euros la cartouche …
Trop gentil Richard. Le plomb interdit dans les zones humides: discutable mais ok on l’a accepté. Mais ces pétitions veulent que toutes les munitions soient sans plomb. Là il n’y a aucune justification. Ce n’est qu’une attaque visant à faire raccrocher de nombreux chasseurs. Que soit préconisé le sans plomb… pourquoi pas mais pas d’interdiction. Certaines armes ne les acceptent pas, y compris des carabines.
Bien dit !!!!!!!
Complètement d’accord,ils veulent l interdire également pour la peche,que je sache le poisson n’est pas truffé de plomb.j aimerai savoir si les familles de chasseurs sont atteintes de pathologies que les autres.pour moi c est un prétexte de plus pour faire diminuer le nombre de chasseurs.
« Et sur les 4 000 cartouches retrouvées, la moitié contenait encore du plomb en 2019 » … 😒 il y a quand même un effort à faire si on veut être pris au sérieux …
Ce genre d’action qui est certainement justifiée et bonne pour l’environnement et nous se juge sur le long terme. Refaisons la même dans 10 ans et regardons l’évolution. Est il possible de distinguer des billes de plomb vieilles de 2005 et des billes récentes des années 2020 et +. C’est intéressant de nuancer mais attendons 10 ans et tirons des conclusions ensuite en toute bonne foi si possible.
C’est exactement avec ce genre d’étude biaisée que les chasseurs ne devraient plus collaborer ! La tour du valat ne donne même pas l’étude complète sur son site mais uniquement un communiqué de presse. Et le « pour aller plus loin » renvoie…au communiqué de presse !
Il faut donc comprendre « si vous voulez un truc sérieux, passez votre chemin, ici on donne dans le partisan. D’ailleurs n’oubliez pas de signer la pétition ».
Il manque plus que l’appel aux dons et on a la totale !