Sologne engrillagée : illusion de séparatisme ?

Chasse Actu
date 17 septembre 2024
author Richard sur Terre

Jean-Baptiste Forray dénonce une fracture sociale et écologique en Sologne, mais ses arguments manquent de nuances. Tentons de remettre un peu d’ordre dans tout ça.

« Saint-Tropez-sous-bois »

Dans une interview accordée à la Nouvelle République qui fait la promotion de son livre Les nouveaux seigneurs, Jean-Baptiste Forray nous brosse un tableau sombre de la Sologne : des domaines de chasse engrillagés, des hélicoptères qui survolent les villages sans s’y arrêter, et une population locale qui regarde, impuissante, l’élite s’accaparer ses terres. Le discours est percutant, accrocheur même, mais derrière cette caricature de « Saint-Tropez-sous-bois », il y a un peu plus de subtilité à explorer. Oui, l’engrillagement soulève des questions légitimes, mais si on veut vraiment comprendre ce qui se joue en Sologne, il va falloir aller plus loin que cette opposition simpliste entre riches propriétaires et chasseurs locaux.

Une fracture sociale : oui, mais pas si nette

Forray aime à opposer les ultra-riches, les fameux « nouveaux seigneurs », aux habitants locaux, les chasseurs d’antan. C’est vrai qu’il y a un contraste, et que cette concentration des terres dans les mains de quelques grands propriétaires suscite des crispations. Mais cette vision binaire est un peu trop facile. Tous les propriétaires de ces grands domaines ne sont pas des parasites déconnectés qui s’enferment derrière des grilles sans jamais participer à la vie locale.

Il aurait été intéressant d’évoquer aussi les domaines qui s’investissent dans la gestion des territoires, qui emploient des artisans, des travailleurs locaux, et qui, parfois, jouent un rôle actif dans l’économie des villages environnants. Certes, ce n’est pas le cas de tous, mais cette réalité existe, et la simplification proposée par Forray ne fait que polariser inutilement le débat. Réduire cette problématique à une lutte entre « riches et pauvres » ne sert qu’à masquer la complexité de la situation.

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Engrillagement : l’impact écologique, mais pas que

Forray ne se contente pas de la fracture sociale, il tape aussi sur l’engrillagement sous l’angle écologique. Et là encore, difficile de ne pas lui donner raison. Les clôtures géantes qui délimitent les propriétés empêchent les animaux de circuler librement, coupant les corridors écologiques et créant des îlots artificiels où le gibier est piégé. Mais soyons précis : tous les domaines engrillagés ne sont pas des zones stériles où l’on tire sur des cibles vivantes importées comme dans un parc d’attractions pour milliardaires.

La réalité est plus nuancée. Certains de ces grands propriétaires mettent en place des politiques de régulation de la faune, des actions pour la conservation des espèces, et un soin particulier est accordé à la gestion du territoire. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’abus, mais il est trop simple de tout mettre dans le même sac sans distinction. Forray aurait gagné à aller chercher ces exemples pour offrir un tableau plus juste. L’écologie, c’est plus compliqué qu’un simple « pour ou contre » l’engrillagement.

Les élus : des complices ? Vraiment ?

L’une des critiques phares de Forray, c’est la gêne des élus locaux face aux grands propriétaires. Il parle d’élus qui n’osent pas s’opposer à ceux qui possèdent la moitié de leur commune, de réunions « discrètes » à la chasse pour régler les problèmes. Ces méthodes doivent exister. Mais ici encore, son analyse est un peu courte. La vérité, c’est que ces élus sont souvent coincés dans un dilemme : d’un côté, ils savent que ces propriétaires représentent une manne financière indispensable à leurs villages ; de l’autre, ils voient bien que cette concentration de richesses crée des tensions.

Il aurait été intéressant d’aborder plus en détail cette tension entre économie et patrimoine, entre la nécessité de faire tourner la commune et celle de défendre l’accès aux terres pour les habitants. Les élus locaux ne sont pas simplement des marionnettes soumises à la volonté des riches propriétaires ; ils doivent jongler avec des enjeux économiques et sociaux complexes. Là encore, l’approche manichéenne de Forray fait perdre en profondeur.

Le grand oublié : l’héritage cynégétique

Enfin, une dimension essentielle que Forray effleure à peine, c’est l’impact de ces transformations sur le patrimoine cynégétique de la Sologne. La chasse, là-bas, ce n’est pas juste un loisir pour riches ou pauvres, c’est un héritage. Depuis des siècles, elle fait partie de l’identité culturelle de la région. Cette tradition se transmet de génération en génération, avec ses valeurs, ses savoir-faire, ses rituels. En réduisant la chasse à une opposition entre locaux dépossédés et propriétaires fortunés, Forray manque une part essentielle du problème : l’engrillagement, c’est aussi la mise en péril de ce patrimoine vivant.

Quand des propriétaires fortunés transforment la chasse en un simple jeu de prestige, ils dénaturent cette activité. Et ce n’est pas juste une question d’argent, c’est une question d’héritage, de savoir-faire, de transmission. Là-dessus, Forray passe à côté. La fracture n’est pas seulement économique, elle est aussi culturelle, et c’est probablement la dimension la plus grave.

Une analyse qui manque de nuances

Jean-Baptiste Forray, avec Les nouveaux seigneurs, pose un vrai problème : l’impact des grands domaines engrillagés en Sologne, sur les plans social, écologique et culturel. Mais son discours pêche par simplification. En réduisant cette situation complexe à une lutte entre riches et pauvres, en diabolisant les propriétaires sans nuancer les faits, il passe à côté de nombreuses réalités locales.

Le discours manichéen, qui met face à face des propriétaires fortunés et une population locale dépossédée, suscite évidemment des réactions, et on l’espère pour lui, des ventes. Mais doit-on en perdre pour autant toute trace de nuance ?

Oui, l’engrillagement soulève des questions légitimes, mais il n’est pas la source unique de tous les maux de la région. Forray aurait gagné à approfondir son analyse, à explorer les cas de gestion cynégétique responsable, à aborder le dilemme des élus locaux, et surtout, à rendre justice à la dimension culturelle de la chasse en Sologne. Si critique il doit y avoir, elle doit s’appuyer sur une compréhension plus fine des enjeux. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra vraiment discuter de l’avenir de la chasse et des terres en Sologne, sans tomber dans la caricature écrite au gros rouge qui tâche sur la couverture.

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3 Commentaires :
  1. GUILLAUME MARKUS
    18/09/24

    Très bonne analyse ou critique de Richard !

    Et en plus, c’est bien rédigé.

  2. Bruckner daniel
    18/09/24

    En ayant eu l’occasion de chasser pas loin de Salbris ( photos et arc ) j’ai pu constater que le livre de J.B. Forray n’est pas intègre. Le grillage existe, personne ne peut le nier, mais de grand domaine en sont exemptes où une gestion responsable y est pratiquée. Il est sûr qu’il devrait y en avoir plus.
    Cette critique de Richard, très juste, devrait se faire savoir. Car beaucoup prendront les écrits de ce livre comme argent comptant où la chasse sera, encore, très mal perçue. Je tenais à rajouter que la chasse en enclos n’est pas ma tasse de thé.

  3. François Simonnet
    04/11/24

    Le commentaire de Richard est respectable et pour une bonne partie justifié.
    Toutefois, il faut savoir que JB Forray qui ne connaît rien à la chasse et ses codes, n’a pas su aborder les pires dérives de la « chasse » artificielle, celles que personne n’ose évoquer, mais qui restent encore courues par une poignée de fusillots.

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