Dans une vie de bécassier, il est certains oiseaux qui vous marquent à tout jamais, tant l’inventivité de leur comportement défensif et l’intelligence dont ils font preuve sont exceptionnels. J’irais même jusqu’à dire que ces bécasses peu banales forcent votre admiration, mais aussi et surtout votre interrogation existentielle sur l’animal, sa place hiérarchique au sein de cet univers où l’homme occupe une position dominante, qui tout à coup n’apparaît plus comme totalement légitime…
Par Jean-Pierre Denuc
Nous étions, Jean-Louis et moi-même, installés depuis plusieurs jours dans le comté du Kerry, en cette verte Irlande sauvage, rustique, grandiose, où la Nature conserve encore ses prérogatives par rapport à l’expansion humaine et citadine. Le matin même, avec notre guide Donald, nous avions fait une très belle chasse de bécassines et de scolopax du côté de Bonane, non loin de Kenmare, aidés en cela par mon brave et talentueux setter anglais Mike, probablement le plus grand trouveur de bécasses que j’ai jamais eu.
Après une bonne Guiness et une copieuse « seafood showder », Donald nous proposa de finir la journée, déjà très réussie, du côté du golf, où il nous avait gardé un petit secteur boisé qui jouxtait les limites du green sur le haut et qui longeait la route sur le bas, constituant une large bande de végétation variée, alternant les massifs touffus de buissons, les gaulis denses et encombrés, les murets de pierres sèches passablement écroulés par endroits et les jeunes feuillus, le tout sillonné de sentiers étroits.
Sortis de la voiture et harnachés, nous lâchâmes Mike qui pénétra en lisière de chemin vers un fouillis de ronces formant un large massif circulaire bordé sur tout le pourtour par une haie d’arbustes serrés, laissant entre les deux une circulation étroite mais dégagée. La haie était percée par deux passages d’environ deux mètres. Nous avions à peine débuté notre marche en direction du chien que le sonnaillon retentit, le setter était déjà à l’arrêt, face au massif.
Je restais derrière mon compagnon en bordure de chemin et fit signe à Jean-Louis de se positionner sur la droite, à angle droit avec moi pour couvrir le maximum d’échappatoires possibles de l’oiseau. Mike était tétanisé, extraordinairement tendu, extrêmement fléchi, dans un style que je connaissais parfaitement et qui ne me trompait pas sur la certitude de présence de l’oiseau au sein du massif. L’arrêt s’éternisait, nous étions prêts, le silence était palpable, une éternité , mais rien. Après de très longues minutes, le chien fit trois pas en rampant et pénétra à mi-corps dans le fourré pour se rebloquer immédiatement… mais toujours rien. Nous scrutions intensément les abords, prêts à l’explosion soudaine de l’envol… en vain. Mike finit par rompre son arrêt et nous de même, pour constater que la bécasse n’était plus là, pourtant persuadés, certains qu’elle y était encore lorsque nous étions parvenus à l’arrêt du chien.
Le mystère était entier
Le setter après avoir effectué quelques explorations rapides au sein du roncier, reprit sa quête au grand galop. J’étais très intrigué par la séquence, réfléchissant tout en marchant, quand surgit tout à coup en mon esprit, une image subliminale qui, sur le moment, avait du s’imprégner sans que j’en ai pris conscience … J’avais vu , oui c’était certain, j’avais maintenant la perception furtive de l’oiseau s’évanouissant au ras du sol et disparaissant par l’une des deux ouvertures de la haie, sans un bruit, sans un claquement d’aile… Elle venait de sauver une première fois sa vie et le combat s’annonçait périlleux.
Mike avalait maintenant la pente ascendante à vive allure et nous le suivions au son de la cloche tout en progressant dans la végétation et les amas de pierres détachés des murets qui formaient autrefois les limites de terrasses probablement enherbées. Le chien quêtait à vive allure, décrivant de longs lacets dans ce dénivelé irrégulier et encombré. Nous franchissions régulièrement et difficilement ces parapets pierreux et instables que le chien était le plus souvent obligé de contourner. Nous savions que notre mordorée devait probablement se tenir dans ces parages, car n’ayant pas été tirée, elle avait dû logiquement effectuer une remise relativement courte.
À une cinquantaine de mètres en amont, la cloche de Mike ralentit soudainement. Cette nuance sonore à laquelle m’avait habitué ce grand trouveur indiquait à coup sûr qu’il venait de capter une émanation sérieuse et probablement localiser la présence de l’oiseau.
Nous nous dirigions vers notre auxiliaire en longeant une murette de pierre sèche que nous venions de franchir, quand nous perçûmes à une trentaine de mètres devant nous un très net amenuisement du rythme et de la sonorité de la cloche correspondant à n’en pas douter à une amorce de coulé. Quelques secondes plus tard, le silence absolu, bientôt suivi des premières notes lancinantes du sonnaillon, il la tenait. Accélérant le pas, sur le qui-vive, nous distinguions maintenant Mike statufié face à la pente, vibrant de tout son corps tendu à l’extrême. Comme à notre habitude, sans un mot, je vins me placer au cul du chien et Jean-Louis resta sur la gauche en amont, à quelques mètres. Le setter jeta un coup d’œil furtif, puis se mit à ramper sur quelques mètres vers la droite, parallèle à la pente et au muret qui s’étirait juste en dessous, s’immobilisa à nouveau quelques instants et d’un bond rageur reprit sa quête vers l’amont. Ce fut très exactement au moment où nous quittions nos positions, relâchés et dépités, pour attaquer la pente à la suite du chien, que j’entendis le bruissement fatidique de ses ailes dans mon dos, juste au pied du parapet pierreux, d’où elle venait de démarrer, se laissant glisser vers le bas…
Nous eûmes juste le temps de distinguer sa silhouette fantomatique s’évanouir en aval, trop tard et trop loin pour tirer. Elle venait de nous berner et de sauver sa peau une seconde fois avec brio. Nous comprîmes le scénario. Elle s’était remisée en amont, sur un sol relativement clair, avait effectué un brin de course à pied, s’était immobilisée quelques instants, et juste quelques secondes avant l’arrivée du chien et après que nous ayons franchi le muret, elle avait accompli un saut de crapaud en arrière pour se blottir au pied de ce rempart pierreux, le longeant sur quelques mètres pour enfin s’immobiliser et attendre le moment favorable pour s’enfuir. L’écran du mur de pierres empêchait toute vue de l’oiseau et toute circulation d’émanation susceptible d’être captée par Mike. Nous étions ébahi par un tel comportement, mais nous ne savions pas encore que le plus extraordinaire, le plus improbable restait à venir…
« dans le comté du Kerry, en cette verte Irlande sauvage, rustique, grandiose, où la Nature conserve encore ses prérogatives par rapport à l’expansion humaine et citadine »
Lorsque mon setter revint au contact, nous le lançâmes dans la direction qu’avait pris la sorcière. Cette fois nous pensions qu’elle avait du prendre un grand parti, car même non tirée, elle se savait traquée et en péril. Donald nous indiqua que nous n’étions plus très loin de la corne du bois qui s’enclavait dans le green du golf, formant une pointe étroite. Effectivement, je longeais maintenant le grillage d’où j’apercevais la pelouse fine et dense. Le chien approchait maintenant de la corne sylvestre qui se composait d’un amas très dense de gaulis et de ronces. Jean-Louis progressait en parallèle, quelques dizaines de mètres plus bas. Nous approchions à n’en pas douter du dénouement. C’était la fin du bois et probablement aussi la fin de la séance. L’arrêt de Mike, parvenu dans le fouillis des derniers arbustes avant le golf fut brusque et autoritaire. La cloche stoppa net. Nous ne pouvions voir le chien tant le fort était épais, mais nous savions qu’elle était là, dans son dernier refuge. L’arrêt s’éternisait, nous encadrions chacun des côtés de cette ultime pointe et elle ne pouvait nous échapper. Elle finit par se décider, en un fracas hallucinant elle se dégagea de sa forteresse, apparut au-dessus des gaulis, pour enfin tomber sous nos tirs à l’unisson ; nous étions à la fois rageurs et chagrinés. Mike se précipita au rapport, tout aussi hargneux et agacé que nous par cet oiseau qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs.
Nous examinions cette bécasse tant désirée sous toutes ses coutures, Mike faisait sa danse du scalp autour de nous sautant et tentant de récupérer à nouveau l’oiseau d’entre mes mains. Tout en contemplant cet adversaire valeureux, un doute s’insinuait en moi, était-ce bien notre oiseau ? Cette fin n’avait pas été à la hauteur des stratagèmes qu’elles nous avait montré auparavant… J’en étais à mes réflexions, quand tout à coup, sur notre droite, je vis s’élever majestueusement au-dessus des gaulis, une magnifique bécasse, qui nous salua d’une virevolte agile et qui disparut en direction de notre point de départ… Estomaqués nous restions là, conscients désormais que c’était elle et qu’elle nous avait encore possédés, en nous donnant le change sur une novice qu’elle était allée rejoindre et qu’elle nous avait sacrifié. C’était son troisième et suprême subterfuge, son triomphe, sa vie trois fois sauvée et de quelle manière…
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