La réhabilitation inattendue de la chasse par l’écologie radicale 

il y a 20000 ans des chasseurs approchent un cerf le long d'une rivière cerf
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date 12 avril 2024
author Léa Massey

Chasses Éternelles a ouvert ses colonnes à Renaud Large, auteur de “ Le choc des espèces, l’homme contre l’animal, jusqu’à quand ?”. Et si la chasse était l’avenir de l’écologie ?

Il y a 20000 ans, des chasseurs approchent un cerf le long d'une rivière
Chasseurs cueilleurs : le retour fantasmé d’un temps où les humains vivaient au cœur de la nature.

On a fréquemment tendance à présenter l’antispécisme comme une branche de l’écologie radicale. C’est une analyse parfaitement erronée.

L’antispécisme, comme le transhumanisme, est une quête illimitée de progrès. Ces deux philosophies désirent un avenir dans lequel l’humanité sera tombée de son piédestal. Contrairement à l’écologie, l’antispécisme s’accommode volontiers du complexe “thermo-industriel”. Ce dernier est capable de fournir une alimentation non-carnée, notamment grâce aux usines de viandes synthétiques. L’antispécisme n’est ni conservateur, ni réactionnaire. Il ne cherche pas prioritairement à limiter l’empreinte carbone de l’humanité ou à préserver la nature et la biodiversité. Il peut même chercher à bouleverser des équilibres naturels pour réduire la domination humaine sur le reste du vivant. L’antispécisme n’entend pas non plus régresser vers un état antérieur, imaginé comme plus clément pour les animaux. 

À l’inverse, l’écologie radicale souhaite retrouver un environnement perdu ou freiner la dégradation climatique en cours.

La recherche d’un passé écologique vertueux amène certains théoriciens  de l’écologie radicale à une défense plus ou moins assumée de la chasse. Ils mythifient la figure du chasseur primitif. Les sociétés de chasseur-cueilleur sont érigées en idéal d’organisation sociale. Plusieurs mouvances d’écologie radicale comme l’anarcho-primitivisme ou plus récemment la collapsologie, attendent l’effondrement, c’est-à-dire le retour à la pré-civilisation thermo-industrielle. Pour eux, l’homme redevenu nomade pratiquera la chasse, activité ancestrale de ponction limitée de l’humanité sur le vivant. Ils opposent ainsi la chasse, prélèvement sobre et naturel, à l’élevage, gabegie productiviste et écocidaire.  L’anthropologue Philippe Descola décrit ainsi  :  “ Si les humains peuvent chasser, c’est parce que les esprits les y autorisent et leur livrent des membres du troupeaux d’animaux sauvages qu’ils contrôlent (….) Et s’ils chassent trop, ils encourent la colère et la vengeance des esprits qui leur en veulent d’avoir prélevé trop d’animaux dans leurs troupeaux.” . Dans ces sociétés, la chasse est non seulement une activité socialement acceptée, voire valorisée;  mais elle s’inscrit aussi au cœur de son architecture spirituelle. 

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Le penseur anarcho-primitiviste, John Zerzan propose également un retour aux sources, encensant les organisations structurées autour de la chasse.

Il déclare ainsi : Nous ne pourrons jamais procéder à une transition vers un mode de vie de chasseurs-cueilleurs si nous n’apprenons pas progressivement à vivre sans technologie – et à terme, sans civilisation (…) Les chasseurs-cueilleurs savaient décrypter d’autres choses, comme un brin d’herbe. C’était déjà une forme de science.” Dans cette critique contre la rationalité, la sagesse animiste des chasseurs-cueilleurs vient miraculeusement pallier l’arrêt brutal du progrès. 

Les papes de la collapsologie, Pablo Servigne & Gauthier Chapelle promeuvent, de leur côté,  l’entraide inhérente aux sociétés de chasseurs cueilleurs : “Et si nous nous mettions à raconter la grande histoire de l’entraide ? Telle qu’elle s’est déployée depuis la nuit des temps, des bactéries il y a trois milliards d’années à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, en passant par les millions de symbioses entre plantes et champignons, bactéries et insectes, anémones de mer et algues unicellulaires, fourmis et pucerons, etc. Bref, la « symbiodiversité » dans toute sa splendeur…” Dans leur doctrine, les sociétés structurées autour de la chasse portent le palliatif de l’anomie. Leur solidarité organique résiste mieux à l’individualisme corrosif, notamment grâce à la pratique collective et inclusive de la chasse. 

Effondrement industriel

Enfin, certaines organisations écologistes radicales, comme Deep Green Resistance (DGR), fondé aux Etats-Unis par l’essayiste Derrick Jensen, promeuvent des actions violentes pour accélérer l’effondrement du capitalisme industriel. Une fois encore, l’organisation des chasseurs cueilleurs est le modèle à suivre. Nicolas Casaux, fondateur de DGR en France et traducteur de Derrick Jensen, remarque : Durant plus de 95 % de la durée d’existence de l’espèce humaine, ses membres ont vécu en petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Sans anéantir le paysage planétaire, sans le submerger de millions de tonnes de plastique et de produits chimiques cancérigènes, et sans saturer son atmosphère de gaz toxiques.” Cette logorrhée induit l’essence écologique des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Elles constituent, pour eux,  un refuge intrinsèque contre l’anthropocène. 

Ces théories obscures pourraient prêter à sourire si elles n’étaient pas l’architecture intellectuelle d’un mouvement profond au sein de la société.

On retrouve ainsi une filiation manifeste – notamment dans la promotion des sabotages d’infrastructures industrielles – entre certains de ces penseurs (Derrik Jensen et DGR) et des mouvements contemporains comme les Soulèvements de la Terre (soutenus par l’anthropologue Philippe Descola).  La collapsologie rencontre également un écho important dans l’opinion publique. En effet, 71% des Italiens et 65% des Français sont d’accord avec l’assertion selon laquelle « la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s’effondrer dans les années à venir ». Le récit d’une bifurcation écologique radicale gagne du crédit à mesure que l’urgence climatique devient palpable. Au regard de ce corpus doctrinal, l’opposition entre chasseurs et écologistes semble plus nuancée qu’il n’y paraît. L’écologie radicale devrait défendre la chasse avec plus d’allant, dans un souci de cohérence intellectuelle. Il y a peut-être même une opportunité de dépénalisation morale de la chasse par l’invocation des fondamentaux de l’écologie radicale.  À tout le moins, l’alliance des antispécistes et des écologistes radicaux dans un front anti-chasse est parfaitement illogique au regard de leurs inspirations philosophiques respectives.

Sur cette base, les chasseurs ont la possibilité d’anesthésier une partie des attaques écologiques dont ils font l’objet. Dans la fiancée d’Abydos, Lord Byron expliquait : « Le pouvoir ne règne qu’à la condition de diviser ». À méditer pour l’avenir des passions cynégétiques…

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