Darwin : le premier chasseur écologiste

Les plumes de Richard
date 13 juillet 2022
author Richard sur Terre

Charles Darwin, tireur compulsif cruel ou premier chasseur écologiste au monde ?

Par Guillaume Calu

L’auteur de « L’Origine des Espèces » a suscité de vives polémiques depuis la première édition de son plus célèbre ouvrage, en 1859. Aujourd’hui encore, nombreux sont ses détracteurs actifs sur les réseaux sociaux, et peu leur importe qu’en plus d’un siècle et demi la biologie moderne ait largement validé les hypothèses évolutionnistes. Mais saviez-vous que Darwin fut aussi dans sa jeunesse un chasseur passionné ? Et même s’il délaissa ensuite le fusil pour se consacrer pleinement à la science, il proposa dans ses carnets quelques idées cynégétiques très progressistes pour son époque. Or, ses détracteurs n’hésitent pas à s’appuyer sur cette passion de jeunesse pour lui psychanalyser une sorte de « cruauté sadique ». Un angle d’attaque fallacieux qui n’est pas sans rappeler les discours anti-chasse aujourd’hui véhiculés sur les réseaux sociaux.

Il y a le bon et le mauvais chasseur, selon le fameux sketch des Inconnus. Et parmi les arguments ad hominem publiés par les créationnistes, dépeindre Darwin comme un mauvais chasseur « viandard » et « cruel » fait aussi partie des coups bas colportés portés. Une belle tentative de prendre en route la vague de contestation antispéciste animant actuellement une frange de notre société. Mais quel est le but de cette psychanalyse à la petite semaine ? Tout simplement discréditer l’œuvre scientifique de Darwin en accusant l’homme. Affublez de troubles psychologiques un auteur pourtant sain d’esprit, et vous jetez l’opprobre sur sa production intellectuelle. Cela ne vous rappelle rien ?

La jeunesse de Darwin est assez bien documentée. Et pour cause, deux œuvres permettent de la retracer. Son autobiographie, tout d’abord, mais aussi son journal de bord lors de la seconde expédition du HMS Beagle. D’après les créationnistes, il suffit de consulter ces deux documents historiques pour immédiatement attribuer à Darwin une passion « morbide » pour la chasse et le tir. Selon les créationnistes, son obsession pour ces deux hobbies dépassait le loisir habituel d’un gentleman anglais du XIXème siècle. « Preuves » à l’appui, des universitaires créationnistes vont même jusqu’à établir un profil psychotique détaillé de Darwin, qu’ils dépeignent comme monstre de sadisme ! Non, décidément, cela ne vous rappelle vraiment rien ?

Mais prenons le temps d’examiner quelques-unes des « preuves » apportées. Le réquisitoire commence dès la petite enfance de Darwin. A l’âge où nos bambins entrent à l’école maternelle, le petit Charles aurait « battu un chiot simplement parce qu’il appréciait ce sentiment de pouvoir ». Nous apprenons également que tirant son premier oiseau, le jeune Darwin en aurait tremblé d’excitation. Charles Darwin, un déséquilibré de naissance plongé dans un univers bourgeois prônant la violence cynégétique comme loisir ? Quel terrible portrait d’un futur psychopathe en puissance ! Et quel clin d’œil troublant aux analyses psychosociologiques menées de si bon train sur les réseaux sociaux !

Pire encore, nous préviennent les créationnistes, l’étudiant Charles Darwin fréquentait à Cambridge un groupe de jeunes tireurs et chasseurs, avec lesquels il n’hésitait pas à sécher des cours de géologie pour ne pas rater les premiers jours de chasse à la perdrix ! L’anecdote est d’ailleurs vraie au début de ses études : « A cette époque je me croyais fou de renoncer aux premiers jours de la chasse aux perdrix pour la géologie ou toute autre science » (Autobiographie, p. 71). Et comme si cela ne suffisait pas, Darwin buvait beaucoup lors des soirées organisées par ce cercle estudiantin. Or, comment ignorer les ravages de l’alcool sur les esprits psychopathes ? Pire encore, tel un serial killer des séries américaines les plus noires, Darwin tenait même un registre élaboré de ses « nombreux meurtres » lors des parties de chasse. « J’ai tenu un registre exact de chaque oiseau que j’ai abattu tout au long de la saison » (Autobiographie, p.54). Vous savez, ce genre de carnet honteux qui aujourd’hui tiendrait sur des applications Smartphones destinées aux chasseurs, et qu’on appellerait, à tout hasard, ChassAdapt par exemple ?

Sadique, alcoolique, psychopathe, et n’ayons pas peur des mots, certainement « spéciste » patenté, comment peut-on une seconde accorder le moindre crédit scientifique à ce dépravé ? Comment ne pas s’étonner, à la lecture de ce terrible réquisitoire, que le jeune Darwin n’eut pas déjà en son cœur les germes de l’apostasie ? Il est d’ailleurs étonnant que l’argumentaire n’ait pas encore fait mouche aussi chez les animalistes. Darwin abandonna d’abord ses études de médecine car il ne supportait pas la rudesse des opérations chirurgicales de l’époque : « J’ai également assisté à deux reprises à la salle d’opération de l’hôpital d’Edimbourg et j’ai vu deux très mauvaises opérations, dont une sur un enfant, mais je me suis précipité avant qu’elles ne soient terminées » (Autobiographie, p. 48). Et pourtant, tirer des spécimens et les préparer par taxidermie ne le choquait nullement. Qu’attendent donc nos chers animalistes pour le descendre en flammes ?

Ces anecdotes vous font sourire ? Il y a de quoi, à coup sûr. Mais cet article ne serait pas complet sans sérieusement creuser la question. Le jeune Darwin était-il un dangereux psychopathe ? Pas vraiment, je vous rassure. En réalité, nous avons surtout affaire à d’habiles cherry-pickings de ses écrits, détournés de leur contexte à des fins malveillantes. A l’image, une fois de plus, des réquisitoires anti-chasses sur les réseaux sociaux.

Revenons sur cette histoire de chien battu. En effet, dans son autobiographie, Darwin avoue se souvenir qu’alors petit garçon et tout récent écolier, il avait maltraité un chiot. « Mais les coups ne pouvaient pas avoir été sévères, car le chiot n’a pas hurlé, ce dont je suis sûr c’est que l’endroit était proche de la maison » (Autobiographie, p. 27). Pas de quoi gaver de médicaments un charmant bambin, tant il n’y a rien d’exceptionnel dans cette anecdote. Observez de petits enfants s’amuser avec des chiens, ils seront tentés d’exercer une douleur sur l’animal. C’est un apprentissage normal, qui les amène justement à comprendre qu’un geste peut induire une douleur. Qu’un petit enfant en déduise empiriquement la notion de cruauté, rien de plus sensé. Et c’est justement la leçon que va en tirer le petit Charles.

Seulement voilà, les créationnistes omettent (volontairement ?) le passage suivant : « Cet acte pesait lourdement sur ma conscience, comme le montre le fait que je me souvienne de l’endroit exact où le crime a été commis. C’était probablement d’autant plus lourd que mon amour des chiens était alors, et longtemps après, une passion » (Autobiographie, p. 27). Voilà donc un enseignement des plus sains pour notre petit Charles : un geste violent peut entraîner la douleur, ce qui est contraire à l’affection. Une grande passion pour les chiens était née (Darwin chérissait littéralement ses chiens), et un mauvais point pour nos créationnistes. Il faut croire que la leçon fut grandement retenue, puisque âgé de 10 ans et en vacances au bord de mer dans le Pays de Galles : « J’ai failli me décider à commencer à collectionner tous les insectes que je pourrais trouver morts, car en consultant ma sœur, j’en ai conclu qu’il n’était pas juste de tuer des insectes pour faire une collection » (Autobiographie, p. 45). Darwin entama une collection entomologique quelques années plus tard, mais soulignons son éthique naturaliste, déjà remarquable pour l’époque.

Cet acte pesait lourdement sur ma conscience, comme le montre le fait que je me souvienne de l’endroit exact où le crime a été commis. C’était probablement d’autant plus lourd que mon amour des chiens était alors, et longtemps après, une passion 

 

Les anecdotes sur un jeune Darwin « obsédé » par la chasse sont pour leur part souvent fondées, mais à nuancer grandement. Darwin adorait tirer lorsqu’il était adolescent puis étudiant. Un loisir assez classique pour la jeunesse bourgeoise anglaise du XIXème siècle. Cependant, Darwin démontrait une véritable fascination pour le tir. Mais alors que naissait sa passion pour le naturalisme, Darwin sut partager ses vacances étudiantes avec le plus grand soin entre ses deux centres d’intérêt : « Mes vacances d’été étaient consacrées à la cueillette de coléoptères, à quelques lectures et à de petites visites. À l’automne, tout mon temps était consacré à la chasse » (Autobiographie, p.68). Nous sommes tout de même loin de l’obsession univoque. Darwin avait d’ailleurs à cœur de choisir ses armes avec soins, notamment selon des critères de fiabilité autant que de performances sportives. Il cherchait aussi à maîtriser la balistique, lisant des ouvrages spécialisés, et s’entraînait même au tir dans sa chambre d’étudiant ! Il va de soi qu’il pratiquait des exercices de tir à blanc, ne soyons pas naïfs sur ce point. Là encore, rien de surprenant pour la jeunesse de l’époque, et Darwin explique même quelques exercices classiques de dextérité auxquels s’adonnaient les étudiants des clubs de tir de son âge.

Darwin était dans sa jeunesse un jeune chasseur passionné, et son autobiographie relate de nombreux souvenirs de parties de chasse. Etudiant très sociable, il rejoignit un groupe de chasseurs estudiantins avec lesquels il vécut pleinement sa vie d’étudiant. Vieil homme, Darwin fit son autocritique de ces soirées étudiants animées. Mais au final, ces écarts de conduite de jeunesse lui laissaient un tendre souvenir nostalgique : « Nous avions l’habitude de dîner souvent ensemble le soir, bien que ces dîners incluaient souvent des hommes d’un niveau supérieur, et nous buvions parfois trop, avec ensuite des chants joyeux et des jeux de cartes. Je sais que je devrais avoir honte des journées et des soirées ainsi passées, mais comme certains de mes amis étaient très agréables et que nous étions tous de très bonne humeur, je ne peux m’empêcher de repenser à ces moments avec beaucoup de plaisir » (Autobiographie, p. 60). Que celui qui n’a jamais profité de sa vie d’étudiant lui jette la première pierre. Mais le naturalisme va progressivement l’emporter sur le tir. Aussi fut-il beaucoup moins assidu au fil du temps, sans renier cette passion pour autant. Mieux encore, son voyage à bord du HMS Beagle va influencer sa vision de la chasse, à tel point que dans ses écrits transparaissent déjà une approche raisonnée et très moderne pour l’époque.

Darwin aimait le tir sportif, la chasse et la camaraderie étudiante, soit. Sauf qu’une fois de plus, les détracteurs de Darwin oublient de préciser que ces passions de jeunesse s’atténuèrent alors que la vocation scientifique grandissait en lui. « Comme j’aimais tirer, mais je pense que je devais avoir honte à moitié consciemment de mon zèle, j’essayais de me persuader que le tir était presque un travail intellectuel ; il fallait tant d’habileté pour juger où trouver le plus de gibier et bien chasser avec les chiens » (Autobiographie, p. 55). Cette volonté d’intellectualiser le tir démontre surtout un esprit rationnel, critique, et probablement un haut potentiel intellectuel, caractéristique par son approche très scientifique d’un loisir si courant alors dans la bourgeoisie anglaise.

Mais la véritable bascule entre ses passions intervint au cours du voyage du HMS Beagle, durant lequel le naturalisme pris définitivement le pas sur la chasse, sans pour autant renier cet amour de jeunesse : « En regardant en arrière, je peux maintenant percevoir comment mon amour pour la science a progressivement prévalu sur tout autre goût. Au cours des deux premières années [du voyage], ma vieille passion pour le tir a survécu presque pleinement, et j’ai abattu moi-même tous les oiseaux et animaux de ma collection ; mais peu à peu j’abandonnai de plus en plus mon fusil, […] car le tir interférait avec mon travail, plus particulièrement avec la compréhension de la structure géologique d’un pays. J’ai découvert, bien qu’inconsciemment et insensiblement, que le plaisir d’observer et de raisonner était bien supérieur à celui de l’habileté et du sport » (Autobiographie, p. 78).

Il nous reste cependant encore sur les bras ce fameux « plaisir de tuer » qui animerait le cœur de chaque chasseur, selon les arguments des anti-chasses sur les réseaux sociaux. Et le témoignage est accablant : Darwin trembla d’excitation en tirant sa première bécassine, une preuve éclatante pour les créationnistes et les animalistes. « Comme je me souviens bien d’avoir tué ma première bécassine, et mon excitation était si grande que j’eus beaucoup de mal à recharger mon arme à cause du tremblement de mes mains. Ce goût a duré longtemps et je suis devenu un très bon tireur » (Autobiographie, p. 44). Comment ? Darwin n’exprime aucune honte ? Pire encore, il relate à la troisième personne l’anecdote dans son ouvrage « L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux »: « Je me souviens avoir vu une fois un garçon qui venait de tirer sa première bécassine sur l’aile, et ses mains tremblaient à un tel degré de joie, qu’il ne pouvait pas pendant un certain temps recharger son arme ». L’aveu est fait. Sauf que voilà, Darwin explique lui-même ce comportement comme une expression non verbale de sentiments extrêmement forts, tels que la colère, la peur, ou encore ici la joie. Bien entendu, l’interpréter uniquement comme une pulsion psychotique serait particulièrement fallacieux, puisque ce comportement est propre aux mammifères, comme le démontrait Darwin dans ses travaux d’éthologie ! Qu’importe ; ce qui compte, ce ne sont pas les faits, mais l’interprétation que les créationnistes peuvent en tirer.

Avec ce portrait de psychopathe à la gâchette facile que lui dressent ses détracteurs, c’est un miracle que Darwin ne se soit pas taillé un chemin sanglant à coups de fusils durant la seconde expédition du HMS Beagle. Peut-être tout simplement parce que Darwin savait déjà rationnaliser les prélèvements sur le terrain ? Tirer des spécimens pour approvisionner des collections naturalistes faisait partie de ses compétences. Il est vrai qu’il eut également à perfectionner sa maîtrise de la taxidermie afin de préserver les spécimens les plus fragiles, sans que cela ne le choque nullement. Mais pour autant, le jeune Darwin ne fut jamais un « préleveur fou » à l’image de certains lépidoptéristes du XIXème siècle, prêts à décimer une population entière pour leurs collections. Bien au contraire, il acquit rapidement sur le terrain une approche raisonnée de la chasse, et fustigeait le tir inutile chez ses contemporains.

Lors d’une partie de chasse à laquelle il participe au Brésil, le 4 juin 1832, il ne manqua pas de rapporter la futilité de certains tirs totalement gratuits : « Vers sept heures, nous arrivâmes à notre terrain de chasse, et installâmes les chevaux dans une petite ferme située au milieu des bois. Les chasseurs armés se postèrent aux endroits les plus propices au passage des animaux, tels que de petits chevreuils et pachas (comme des cobayes). Entre-temps, ils tiraient sur des perroquets et des toucans, etc. J’ai bientôt trouvé cela très stupide et j’ai commencé à chasser mon propre gibier » (Journal de Bord de Charles Darwin à bord du Beagle, p. 70).

En réalité, le jeune scientifique Darwin était un chasseur-naturaliste accompli, déjà inscrit dans une démarche de chasse raisonnée et de gestion durable du gibier. Selon Robert Montgomerie, Charles Darwin avait acquis grâce à la chasse une bonne aptitude aux sciences de terrain, notamment en ornithologie. Rappelons qu’une des observations majeures à l’origine de la théorie de l’évolution repose justement sur l’interprétation de différents spécimens de Pinsons des Galápagos ! Ses critiques vis-à-vis de ses contemporains autorisent même la comparaison avec les initiatives de protection de la nature portées par des chasseurs et ornithologues français du début du XXème siècle, impulsions grâce auxquelles naquirent en 1912 la LPO et de la réserve naturelle des Sept-Îles. Charles Darwin, premier chasseur écologiste au monde ?

Les attaques portées encore aujourd’hui contre de Darwin peuvent amuser, même agacer devant tant de mauvaise foi et d’inculture scientifique. Mais elles surprennent par leur similitude avec celles proférées à l’encontre des chasseurs. L’attaque ad hominem est similaire : tenter d’affubler l’adversaire de troubles psychologiques imaginaires afin de mieux discréditer ses arguments. Que ce genre d’attaques s’appliquent aussi bien contre la théorie de l’évolution qu’à l’encontre du monde cynégétique peut se comprendre, puisque le dénominateur commun reste la chasse. Mais la méthode laisse songeur.

 Nous sommes en présence de deux camps radicaux, pour qui le militantisme passe avant toute connaissance rationnelle. Et si, face aux idéologies radicales, la meilleure réponse consistait, comme le fit Darwin, à y répondre par la science et la raison ?

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2 Commentaires :
  1. Yann Mozé
    14/07/22

    Magnifique travail sur Darwin ! Respect Monsieur Richard.
    Je partage totalement votre analyse à tel point que le perroquet qui partage mon toit depuis 20 ans s’appelle  » Darwin » !

    1. Guillaume Calu
      22/07/22

      Merci pour votre commentaire ! Juste une petite précision ce n’est pas Richard l’auteur mais moi-même 😉

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