Quand trois « cochons chinois » deviennent des « sangliers blancs », c’est plus qu’une simple anecdote : c’est le reflet d’une déconnexion inquiétante avec la nature.
Tout commence dimanche après-midi, sur la route de la Valmasque, près de Mougins. Lisa aperçoit une silhouette blanche au bord de la route. Intriguée, elle s’arrête. « Il était de dos. Je pensais que c’était un labrador », raconte-t-elle. Mais en s’approchant, elle découvre ce qu’elle croit être un sanglier blanc. Pas un, mais trois. Convaincue d’avoir assisté à une rencontre extraordinaire, elle filme la scène avant de repartir avec une histoire à raconter.
Lundi, la presse s’emballe. « Trois sangliers blancs aperçus dimanche route de la Valmasque », titre un article. Les animaux, que l’on croiserait « rarement dans une vie », font la une. Guy Anstile, président de la société de chasse de Biot, est cité : « Ces animaux existent, mais ils sont rares. » L’emballement est total. L’affaire prend de l’ampleur, et les photos circulent.
Sauf que Guy, à ce moment-là, n’avait pas vu la photo. On imagine la scène : un coup de fil rapide de la presse locale, une journaliste qui raconte l’histoire avec enthousiasme, et lui qui, par politesse ou par instinct, confirme sans trop se poser de questions. Après tout, pourquoi douter ? Les sangliers blancs, bien qu’extrêmement rares, ne sont pas impossibles. Il y a même des récits qui les mentionnent dans les Alpes-Maritimes. Alors il valide. Mais hélas pour Guy, le cliché arrive ensuite, et avec lui, la douche froide : ces « sangliers blancs » ne sont rien d’autre que de paisibles cochons chinois (d’ailleurs on préférera parler de « cochons vietnamiens » c’est plus adapté).
Mais cette histoire anodine, presque comique, soulève une question vertigineuse : comment peut-on confondre un cochon et un sanglier ? Parce qu’au-delà de l’anecdote, il y a un malaise. Ce n’est pas juste Lisa qui s’est trompée. La presse et les lecteurs ont validé cette interprétation sans sourciller. Et tout cela révèle quelque chose d’essentiel : notre société a perdu le lien avec la nature.
Il fut un temps où un enfant aurait immédiatement vu la différence. Un sanglier, même albinos, ça n’a pas cette silhouette. Pas ce museau, pas cette attitude. Mais nous vivons dans un monde où ce genre de savoir ne s’acquiert plus. Les cochons, on les voit dans les livres d’images ou dans les assiettes. Les sangliers, on les connaît à travers les contes et les dessins animés. Quant au reste de la faune sauvage, elle reste pour beaucoup un décor abstrait, flou, réservé aux naturalistes (les vrais) et aux chasseurs.
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Ce n’est pas seulement risible, c’est préoccupant. L’éducation à la nature, au vivant, a déserté nos vies. On ne sait plus nommer les oiseaux, reconnaître les arbres, distinguer les empreintes dans la boue. Alors forcément, un cochon devient un « sanglier blanc », et tout le monde y croit. Ce n’est pas seulement un manque de connaissances, c’est un désintérêt pour ce qui nous entoure. Et ça pose problème.
Parce que protéger la nature, c’est d’abord la connaître. Comment défendre un écosystème qu’on ne comprend pas ? Comment s’émouvoir de la disparition d’une espèce quand on est incapable de la reconnaître ? La Valmasque nous renvoie à cette déconnexion inquiétante. Et cette ignorance, elle n’est pas juste individuelle : elle est collective. Systémique.
Alors peut-être que cette histoire de cochons vietnamiens a quelque chose à nous apprendre. Qu’elle peut être le point de départ d’une réflexion. Et si l’on réapprenait à observer ? À questionner ? À reconnaître ? Et si, la prochaine fois que des « sangliers blancs » apparaissent, on savait tout de suite qu’il s’agit de cochons – et qu’on riait, non pas de notre ignorance, mais de notre capacité retrouvée à comprendre le monde vivant ?
A voir en vidéo :
Ca me rappelle une fois une alerte sur les réseaux sociaux pour une perruche perdue dans un champ, alors que c’était un magnifique faisan vénéré.
Cet article sur l’ignorance face au monde vivant m’amène à vous en suggérer un autre au sujet de la prolifération des vidéos de faux sauvetages d’animaux, de mise en scènes » mignonnes » obtenues à coup de médicaments administrés aux animaux, de montages vidéos trompeurs pour raconter des histoires et émouvoir….sans compter l’IA. Le niveau abyssal de discernement et le nombre d’internautes qui en témoignent est purement ahurissant.
Encore un exemple de l’écart entre la ville et la campagne entre je veux vivre à la campagne mais surtout à 5 mn du centre ville…